Le 14 octobre 2025 restera dans les annales de Madagascar. En moins de vingt‑quatre heures, la Grande Île a basculé d’une crise politique larvée à un bouleversement constitutionnel qui met fin à la IVᵉ République et ouvre une période d’incertitude. Cette journée a été marquée par un enchaînement d’événements dramatiques : une Assemblée nationale prête à voter l’empêchement du président Andry Rajoelina, la décision du chef de l’État de dissoudre le Parlement depuis l’étranger, puis un vote d’impeachment malgré tout, suivi de la prise de contrôle des institutions par une faction militaire promettant un gouvernement civil collégial. Retour détaillé sur cette séquence, ses causes et ses enjeux.
De la colère populaire à la session d’empêchement
Un mouvement de jeunesse qui gagne l’opinion
Depuis fin septembre 2025, la capitale Antananarivo était secouée par des rassemblements menés par Gen Z Madagascar. Au départ, ces manifestations dénonçaient les fréquentes coupures d’eau et d’électricité. Les jeunes ont rapidement élargi leurs revendications en pointant la pauvreté endémique, la cherté de la vie et la corruption au sein de l’exécutif. L’Organisation des Nations unies a dénombré au moins 22 morts et des dizaines de blessés lors de la répression des premières semaines, tandis que le gouvernement contestait ces chiffres. Ces rassemblements ont mobilisé des milliers de citoyens et un certain nombre de fonctionnaires appelés à la grève, suscitant un mouvement sans précédent depuis l’ère post‑transition.
Les protestataires s’inscrivaient dans un cycle d’insurrections menées par des jeunes à travers le monde et s’inspiraient même du manga One Piece. Le 13 mai square d’Antananarivo, des banderoles arboraient un drapeau malgache et une tête de mort, symbole de ce collectif. Les slogans dénonçaient aussi l’influence de la France, la double nationalité du président et la mainmise d’une élite affairiste sur les richesses du pays. Dans un pays où 75 % de la population vit sous le seuil de pauvreté et où seulement un tiers des habitants a accès à l’électricité, la crise énergétique fut le déclencheur d’un ras‑le‑bol généralisé.
Le chef de l’État contesté et isolé
Face à ce mouvement, le président Andry Rajoelina a opté pour une stratégie de fermeté. Élu une première fois après le coup d’État de 2009, puis de nouveau en 2018 et en 2023, il était accusé de dérives autoritaires et d’avoir acquis la nationalité française, ce qui alimentait les suspicions de collusion avec l’ancienne puissance coloniale. Le 6 octobre 2025, il avait tenté de calmer la rue en limogeant son Premier ministre et en nommant à ce poste le général Ruphin Fortunat Zafisambo, sans convaincre les protestataires.
Sous pression, Rajoelina a quitté le pays. Il a expliqué lors d’une allocution filmée depuis un lieu tenu secret qu’il avait été « obligé de se mettre à l’abri » pour protéger sa vie. D’après plusieurs sources citées par la presse, il aurait embarqué sur un avion militaire français. Dans un message publié sur X (anciennement Twitter), il a cependant redit son attachement à la Constitution, appelé à respecter l’ordre républicain et annoncé qu’il dissolvait l’Assemblée nationale pour « rétablir l’ordre » et permettre au peuple de se prononcer de nouveau. Le décret de dissolution, diffusé sur la page Facebook de la présidence, précisait que cette décision entrait en vigueur immédiatement.
Une dissolution contestée par les députés
L’Assemblée nationale convoquée malgré tout
Le 14 octobre au matin, alors que Rajoelina était en fuite, les députés se sont réunis en session extraordinaire pour examiner une motion d’« empêchement temporaire » (destitution) pour « abandon de poste ». La Constitution impose que ce vote rassemble les deux tiers des élus. Les parlementaires de l’opposition affirmaient avoir recueilli suffisamment de signatures. Ils ont décidé de maintenir la session malgré le décret présidentiel, qu’ils jugeaient inconstitutionnel. Le président du Sénat et plusieurs juristes ont souligné que l’article 60 de la Constitution imposait un délai minimum avant la dissolution et qu’un président absent du territoire ne pouvait pas exercer cette prérogative.
Un vote historique : 130 pour, une abstention
Lors de la séance, 131 députés sur 163 se sont prononcés. Selon l’agence Reuters, 130 députés ont voté la destitution du président, tandis qu’un seul a glissé un bulletin blanc. Ce résultat dépassait largement la majorité requise des deux tiers. Certains membres du parti présidentiel ont eux‑mêmes voté contre leur chef, signe de l’isolement de Rajoelina. Le vote doit encore être validé par la Haute Cour constitutionnelle (HCC), mais il marque la première destitution d’un chef d’État dans l’histoire contemporaine de Madagascar.
La présidence a aussitôt dénoncé cette séance comme « dépourvue de base légale », affirmant que toute décision prise par une Assemblée dissoute était caduque. Mais pour les élus, la dissolution n’avait pas de valeur parce que le décret avait été pris en violation de la Constitution et depuis l’étranger, sans consultation régulière du bureau de l’Assemblée.
L’entrée en scène de l’armée : prise de pouvoir ou transition ?
CAPSAT : l’unité d’élite qui change la donne
Le tournant est intervenu lorsque la CAPSAT, unité d’élite ayant participé au coup d’État de 2009, a décidé de rallier les manifestants. Dès le week‑end précédant le 14 octobre, les militaires ont annoncé qu’ils refusaient de tirer sur la foule. Le 13 octobre, ils ont pris le contrôle du siège de la télévision nationale. Leur chef, le colonel Michael Randrianirina (surnommé par certains « Colonel Mike »), a déclaré le 14 octobre à la radio : « Nous avons pris le pouvoir ». Entouré de soldats, il a précisé que l’armée dissolvait toutes les institutions à l’exception de l’Assemblée nationale. Cette déclaration a été réitérée devant le palais d’Ambotsirohitra, résidence présidentielle située en plein cœur d’Antananarivo.
Une gouvernance collégiale promise
Dans son allocution, le colonel Randrianirina a expliqué que le CAPSAT mettrait sur pied un comité composé d’officiers de l’armée, de la gendarmerie et de la police nationale. Ce comité serait chargé des fonctions présidentielles et inclurait « à terme des conseillers civils ». Un Premier ministre devrait être nommé pour former « rapidement un gouvernement civil ». Le colonel a également annoncé la suspension de la Constitution et des pouvoirs de la Haute Cour constitutionnelle et a évoqué un référendum dans deux ans pour valider de nouvelles institutions. L’armée s’est donc engagée à organiser un scrutin constituant et des élections, mais son calendrier reste flou. Selon l’Associated Press, Randrianirina a assuré qu’il ne s’agissait pas d’un coup d’État militaire permanent et qu’une transition civile serait rapidement amorcée.
Ces déclarations rejoignent partiellement les revendications des contestataires du mouvement Gen Z qui exigeaient la démission du président et la dissolution des institutions jugées corrompues, notamment la Haute Cour constitutionnelle et la commission électorale. Toutefois, certains leaders de la société civile ont mis en garde contre la concentration de tous les pouvoirs entre les mains d’officiers et ont réclamé des garanties d’inclusivité.
L’armée soutenue par la justice ?
Quelques heures après cette annonce, la Haute Cour constitutionnelle a publié un communiqué surprenant invitant le colonel Randrianirina à assurer l’intérim de la présidence. Le tribunal a justifié sa décision par l’incapacité du chef de l’État, qui avait quitté le territoire, et a demandé au colonel d’organiser des élections dans un délai de 60 jours. Cette injonction contredit le calendrier de deux ans évoqué par l’armée et montre les tensions institutionnelles autour de la transition.
Vers la fin de la IVᵉ République ?
La Constitution de 2010 remise en cause
La Constitution de 2010, issue du référendum organisé après le coup d’État de 2009, avait instauré la IVᵉ République malgache. Elle prévoyait notamment un régime semi‑présidentiel, un Sénat et une Haute Cour constitutionnelle. En dissolvant ces institutions et en suspendant le texte fondamental, l’armée rompt avec ce cadre juridique. Les députés, en votant l’empêchement du président, ont eux-mêmes amorcé une procédure prévue par la Constitution, mais le caractère irrégulier de la dissolution crée un vide juridique. L’annonce d’un référendum constitutionnel dans deux ans signifie qu’une nouvelle République est appelée à voir le jour. Pour les manifestants, c’est l’occasion de refonder le contrat social en introduisant davantage de contrôle parlementaire et de justice sociale.
La décision de la HCC d’investir un militaire à la tête de l’État pour organiser une transition contraste avec ses positions antérieures. Elle avait auparavant validé des mesures controversées, comme la candidature de Rajoelina en 2023 malgré sa nationalité française. Cette volte‑face témoigne de la fragilité des institutions et du rapport de force en faveur de l’armée.
Des réactions partagées
Dans les rues d’Antananarivo, les scènes de liesse ont alterné avec les appels à la vigilance. Les jeunes manifestants ont célébré le départ de Rajoelina et l’engagement de l’armée à ne plus tirer sur la population. L’une d’entre eux, Fih Nomenjanahary, interviewée par Reuters, déclarait : « Nous sommes tellement heureux qu’Andry Rajoelina soit enfin parti… Nous allons recommencer ». D’autres, plus prudents, soulignaient la nécessité de remettre le pouvoir rapidement à une administration civile et d’organiser des élections. Un consultant informatique de 68 ans interrogé par Reuters rappelait que « les institutions doivent être remises en place par des civils pour éviter une dérive autoritaire ».
Les chancelleries étrangères sont restées attentistes, appelant au respect des droits humains et à un retour rapide à l’ordre constitutionnel. La France, souvent perçue comme soutien de Rajoelina, a refusé de confirmer l’exfiltration de ce dernier mais s’est dite préoccupée par la tournure militaire de la crise. L’Union africaine et la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) doivent se prononcer sur la légitimité de ce changement de pouvoir.
Que peut apporter un gouvernement collégial ?
Le scénario d’un gouvernement collégial civil rappelle une configuration déjà utilisée à Madagascar en 2023, lorsque la Haute Cour constitutionnelle avait confié l’intérim des fonctions présidentielles au Premier ministre Christian Ntsay pendant la campagne électorale. Cette solution avait suscité des critiques mais avait permis d’éviter un vide institutionnel. Aujourd’hui, l’armée promet de s’effacer au profit d’une équipe civile qui inclurait plusieurs sensibilités politiques, des représentants de la jeunesse et des organisations de la société civile. Si cette promesse est tenue, elle pourrait constituer une alternative à un directoire purement militaire, en rassemblant les forces vives autour d’un projet de refondation. La création d’une commission chargée d’élaborer une nouvelle constitution et de préparer des élections dans un délai raisonnable pourrait redonner confiance à la population et aux partenaires internationaux.
Toutefois, la suspension de la constitution et la mise entre parenthèses de toutes les institutions, y compris la Haute Cour constitutionnelle et la commission électorale, posent des questions d’État de droit. Les juristes s’inquiètent d’une rupture avec le principe de séparation des pouvoirs et d’un possible retour à des pratiques autoritaires. La comparaison avec 2009, où le CAPSAT avait conduit un coup d’État avant de porter Rajoelina au pouvoir, nourrit ces craintes. Beaucoup redoutent que l’armée ne conserve l’ascendant au-delà du calendrier annoncé, en dépit des déclarations rassurantes.
Perspectives : espoirs et incertitudes
Madagascar se trouve aujourd’hui à la croisée des chemins. La fin de la IVᵉ République, annoncée par la suspension de la Constitution, offre une opportunité de rebâtir un système politique plus inclusif et plus transparent. Les forces de la société civile, les partis politiques et les mouvements de jeunesse doivent être associés à la rédaction du nouveau texte fondamental. La gouvernance collégiale civile proposée par le CAPSAT devra prouver qu’elle n’est pas un simple paravent pour une junte et qu’elle respecte les aspirations démocratiques exprimées dans la rue.
Le pays reste confronté à des défis économiques immenses : pauvreté généralisée, infrastructures défaillantes, corruption endémique et répercussions du changement climatique. La réussite de la transition dépendra de la capacité des nouveaux dirigeants à répondre à ces urgences tout en rétablissant la confiance dans les institutions. Pour l’heure, l’enthousiasme suscité par le départ de Rajoelina ne doit pas occulter les risques de « peaux de bananes » internes, de divisions entre factions ou de récupération par des intérêts occultes. La route est longue, mais le 14 octobre 2025 marque indéniablement une nouvelle saison pour Madagascar, comme l’ont souligné avec fierté de nombreux manifestants.
En attendant que la situation se clarifie, chacun espère que cette transition ouvrira une ère d’apaisement et de reconstruction. Le destin de la Grande Île dépend désormais de la capacité de ses dirigeants civils et militaires à mettre l’intérêt général au‑dessus des ambitions personnelles et à construire, avec l’ensemble des Malgaches, une nouvelle République plus juste et plus solidaire.

Etudiant en Master II en biochimie, je suis passionné par les voyages et les technologies de l’information et de la communication. En dehors de mes études, je travaille en tant que rédacteur, traducteur et intégrateur. Je fais également un peu de community management.
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Cher Monsieur.
votre chronique et analyse de la situation est très pertinente et très utile comme informations basées sur des faits réels , images et video.
Merci infiniment.
cordialement.
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