Madagascar n’a pas seulement un patrimoine culturel riche ; son développement économique repose aussi sur des infrastructures vitales : l’accès à l’électricité et à l’eau, l’acheminement du pétrole et le déploiement des réseaux télécoms. Trois entreprises publiques ont marqué cette histoire : JIRAMA (Jiro sy Rano Malagasy, production et distribution d’eau et d’électricité), SOLIMA (Solitany Malagasy, compagnie pétrolière nationale) et TELMA, devenue récemment YAS, l’opérateur historique des télécoms. Ces entités, nées à différentes périodes et régies par des lois successives, symbolisent l’évolution de l’État malagasy et ses efforts pour moderniser ses services. Pourtant, la continuité n’a pas été de tout repos : nationalisations, privatisations, crises, mais aussi innovations comme la première offre 5G d’Afrique, se succèdent.
JIRAMA, SOLIMA et TELMA : une chronologie commune
L’année 1896 marque la naissance de la STIMAD, première ligne téléphonique à Tananarive, ancêtre de TELMA. Les années 1960 voient l’indépendance du pays et la structuration de ses entreprises publiques : séparation des services d’eau et d’électricité pour JIRAMA, organisation de l’industrie pétrolière et intégration des postes et télécommunications (PTT) pour TELMA.
En 1975, le gouvernement regroupe l’ENEM, l’EEM et la SMEE au sein de JIRAMA, lui confiant un quasi‑monopole sur la production et la distribution d’eau et d’électricité. Pour SOLIMA, les années 1970 consolident la gestion des hydrocarbures et préparent l’ouverture future de la raffinerie de Toamasina. La décennie 1990 introduit la concurrence : des producteurs privés d’énergie entrent sur le marché, tandis que SOLIMA perd son monopole et que les PTT deviennent OPTM. Au tournant du millénaire, la rafinerie s’arrête, les actifs sont répartis entre Galana, Jovena, TotalEnergies et d’autres distributeurs, et Telecom Malagasy est privatisée et cédée au groupe Axian (anciennement Hiridjee).
Les années 2000 voient naître MVola (service de mobile‑money), la fibre optique et les réseaux 3G/4G. En 2020, TELMA lance la première offre 5G commerciale de Madagascar, avec l’appui d’Ericsson, avant de suspendre temporairement le service à la demande du régulateur. En novembre 2024, Axian renomme l’ensemble de ses filiales mobiles en YAS afin d’unifier ses activités en Afrique. La même année, la justice condamne l’ex‑PDG et l’ex‑DG de JIRAMA à dix ans de travaux forcés pour corruption, illustrant l’urgence des réformes dans le secteur énergétique.
Historique de JIRAMA
L’histoire de JIRAMA est indissociable de celle de l’indépendance malgache. Avant 1975, la production d’électricité relevait de l’Energie Électrique de Madagascar (EEM) et la distribution d’eau de l’ENEM. L’ordonnance du 17 octobre 1975 (nº 75‑024) fusionne ces entités et la SMEE pour créer JIRAMA, confiant à cette nouvelle société publique la quasi‑totalité de la production, du transport et de la distribution d’électricité et d’eau.
Durant les premières décennies, le modèle reste centralisé et financé par l’État. Les années 1980 sont marquées par d’importants investissements dans les centrales hydroélectriques d’Andekaleka et Namorona ; ces projets, bien que novateurs, occasionnent un endettement lourd et une dégradation rapide des équipements faute de maintenance. La situation se détériore dans les années 1990 : tarifs trop bas, pertes techniques et commerciales, et recours accru aux générateurs thermiques font bondir les coûts.
Face à cette crise, la loi 98‑032 (1998) ouvre le secteur à la concurrence et prévoit l’entrée d’opérateurs privés via un système de concessions. JIRAMA perd son monopole de production, mais conserve la gestion du réseau, créant une cohabitation délicate avec les nouveaux producteurs indépendants. Des réformes supplémentaires interviennent en 2017 (loi 2017‑020), séparant formellement les activités de production, de transport et de distribution pour faciliter l’investissement privé dans les énergies renouvelables. Toutefois, faute de décret d’application, JIRAMA continue d’exploiter l’ensemble de la chaîne, ce qui freine l’émergence de nouveaux acteurs et entretient la dépendance aux subventions.
En 2024, le scandale de détournement de fonds éclate : l’ex‑PDG et l’ex‑DG sont condamnés pour avoir octroyé des primes exorbitantes alors que la société accumulait les arriérés. Ces affaires ont suscité l’indignation et renforcé la pression sur l’État pour restructurer l’entreprise. Dans un rapport de 2025, le FMI rappelle que seulement 36 % de la population malgache a accès à l’électricité et que la production repose encore largement sur des combustibles fossiles, malgré un potentiel hydroélectrique et solaire considérable. Les investissements récents visent à moderniser les réseaux, développer des mini‑réseaux hybrides et déployer des compteurs intelligents.

Une épopée pétrolière : de SOLIMA à la libéralisation
Le secteur des hydrocarbures malgache est né dans les années 1960, avec la préparation de la raffinerie de Toamasina. En 1962, l’ordonnance nº 62‑055 fonde la Solitany Malagasy (SOLIMA), qui regroupe l’ensemble des activités pétrolières nationales. Entre 1966 et 1969, la raffinerie entre en service, assurant le raffinage domestique et réduisant la dépendance aux importations. La nationalisation de 1975 renforce le contrôle de l’État, mais l’inefficacité et la mauvaise gestion plombent peu à peu l’entreprise.
La décennie 1990 est synonyme de crise : la raffinerie souffre de la vétusté de ses installations et de la baisse des cours. L’ordonnance nº 93‑002 et le décret nº 93‑136, pris en 1993, mettent fin au monopole de SOLIMA et ouvrent la distribution aux opérateurs privés. Le retrait progressif de l’État s’amplifie au début des années 2000. En 2000, la raffinerie est mise à l’arrêt, puis la société est démantelée ; ses actifs, notamment les dépôts et les stations‑service, sont répartis entre plusieurs sociétés privées : Galana, Jovena (filiale de Akio Hiriko), TotalEnergies et plus tard Vivo Energy. Le décret nº 99‑085 (1999) et les décrets de 2000–2004 scellent cette privatisation.
En 2006, le gouvernement finalise la cession de SOLIMA et abandonne toute participation dans la chaîne pétrolière. Depuis lors, aucune nouvelle loi ne régit spécifiquement ce secteur. Aujourd’hui, quatre entreprises se partagent la distribution en gros des produits pétroliers, tandis que le pays importe la totalité de son carburant raffiné. La disparition de SOLIMA illustre à la fois la difficulté à gérer une industrie lourde et la nécessité d’un cadre réglementaire stable pour attirer des opérateurs responsables.

Télécoms : de TELMA à YAS
La téléphonie fait son entrée à Madagascar dès 1896 avec la création de la STIMAD, qui installe la première ligne téléphonique dans la capitale. Durant la période coloniale, le réseau dépend des décrets français. Au moment de l’indépendance en 1960, les PTT (Postes, Télégraphes et Télécommunications) gèrent l’ensemble des communications. La loi nº 60‑014 intègre STIMAD au sein de cette entité publique.
Dans les années 1990, l’État décide de séparer les postes de la téléphonie. L’OPTM (Office des Postes et Télécommunications de Madagascar) voit le jour, avant de prendre le nom de Telecom Malagasy à partir de 1996. En parallèle, la libéralisation s’amorce avec l’arrivée d’opérateurs mobiles concurrents (Airtel, Orange). La privatisation partielle de 2004 conduit le groupe Axian à prendre le contrôle de Telecom Malagasy.
Au début des années 2000, l’opérateur lance le service MVola, qui devient rapidement un outil majeur d’inclusion financière. La généralisation de la fibre optique et des réseaux 3G/4G améliore la connectivité. Le 26 juin 2020, Telma, en partenariat avec Ericsson, active la première 5G commerciale de Madagascar. Cette nouvelle technologie promet des vitesses ultrarapides et des applications innovantes dans l’éducation, la santé ou l’agriculture. Toutefois, quelques jours plus tard, le régulateur demande l’interruption du service, estimant que l’autorisation n’est pas complète ; le lancement effectif se fait donc progressivement.
En novembre 2024, Axian choisit de regrouper toutes ses filiales mobiles sous la marque YAS afin de renforcer sa visibilité panafricaine et de créer des synergies entre Madagascar, les Comores, le Sénégal, le Togo et la Tanzanie. Les dirigeants expliquent que cette nouvelle identité constitue un « puissant symbole qui unit l’Afrique en possibilités » et qu’elle permettra d’améliorer l’expérience client et l’innovation. Selon des analyses sectorielles, YAS (ex‑Telma) reste le leader du marché avec environ 5 millions d’abonnés début 2025 et détient près de 50 % des parts de marché. Le groupe poursuit sa stratégie d’expansion en misant sur les paiements mobiles, la fibre et la 4G/5G, malgré la concurrence croissante d’Airtel, d’Orange et des nouveaux services satellites.

JIRAMA, SOLIMA et TELMA : un avenir en construction
L’histoire de JIRAMA, SOLIMA et TELMA/YAS révèle l’évolution de la gestion publique à Madagascar. Ces trois entreprises ont commencé sous des formes monopolistiques avant de connaître l’ouverture à la concurrence et la privatisation partielle. Les crises financières et les scandales de gouvernance montrent les limites d’un système sans transparence, tandis que la pénétration du mobile‑money et de la 5G démontre la capacité d’innovation du pays. Aujourd’hui, l’enjeu consiste à concilier service public et efficacité économique : JIRAMA doit assainir ses finances et investir dans les énergies renouvelables pour augmenter l’accès à l’électricité, YAS doit poursuivre la modernisation du réseau tout en garantissant un service abordable, et l’absence de SOLIMA rappelle la nécessité d’une politique énergétique cohérente pour sécuriser l’approvisionnement en carburants.
JIRAMA, SOLIMA et TELMA : Tableau récapitulatif des événements clés
| Année | JIRAMA (électricité et eau) | SOLIMA (pétrole) | TELMA/YAS (télécoms) |
| 1896 | – | – | Naissance de la STIMAD (1ère ligne téléphonique) |
| 1960 | ENEM et SMEE séparés | Préparation de la raffinerie | STIMAD intégrée aux PTT |
| 1962 | – | Création de Solitany Malagasy | – |
| 1966‑69 | – | Mise en service de la raffinerie de Toamasina | – |
| 1975 | Fusion ENEM, EEM et SMEE → JIRAMA | Renforcement de la gestion pétrolière | – |
| 1990‑94 | Arrivée des producteurs privés | Crise, fin du monopole | PTT devient OPTM |
| 2000‑04 | Multiplication des centrales thermiques | Arrêt de la raffinerie ; démantèlement en Galana, Jovena, Total et autres | OPTM devient Telecom Malagasy ; entrée d’Axian |
| 2006 | Contrats PPA et clauses de confidentialité | Cession définitive de la société | Privatisation et lancement du service GSM |
| 2010‑23 | Nouveaux contrats avec producteurs (Symbion, Jovena, Hydelec…) | Plus de nouvelles lois | MVola, fibre, 4G, 5G ; lancement de MVola |
| 2024 | Plan de restauration du réseau et de la production | Société dissoute (histoire) | Rebranding mondial : Telma Mobile devient YAS |
| 2025 | Mise en œuvre des réformes, programmes solaires et hybrides | – | YAS poursuit l’expansion 4G/5G et les services financiers |
Quelques sources
The Electricity Sector and Jirama: Republic of Madagascar; IMF Selected Issues Paper No. 2025/026 : https://www.imf.org/-/media/files/publications/selected-issues-papers/2025/english/sipea2025026.pdf
Telma and Ericsson launch commercial 5G services in Madagascar : https://www.ericsson.com/en/press-releases/2020/6/telma-and-ericsson-launch-commercial-5g-services-in-madagascar
Axian and Mastercard launch digital payments suite in five African countries – Developing Telecoms : https://www.developingtelecoms.com/telecom-technology/financial-services/19419-axian-and-mastercard-launch-digital-payments-suite-in-five-african-countries.html
Axian rebrands mobile units as Yas for pan-African growth – Developing Telecoms : https://developingtelecoms.com/telecom-business/operator-news/17668-axian-rebrands-mobile-units-as-yas-for-pan-african-growth.html
Operator Watch Blog: Madagascar’s Operators Push Ahead in the Race for Connectivity : https://www.operatorwatch.com/2025/10/madagascars-operators-push-ahead-in.html
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