Parmi les animaux emblématiques d’Afrique, le bushpig ou Potamochoerus larvatus intrigue depuis des décennies. Ce cochon sauvage est le seul grand mammifère terrestre à vivre à la fois sur le continent africain et à Madagascar. Sa présence sur l’île rouge, séparée de l’Afrique depuis 150 millions d’années, est longtemps restée un mystère biologique et historique. L’hypothèse d’une introduction humaine a souvent été avancée, mais sans preuve génétique solide… jusqu’à aujourd’hui.
Une nouvelle étude génomique internationale, publiée dans la revue Nature Communications, apporte un éclairage inédit sur l’histoire évolutive et la migration du bushpig. Grâce au séquençage de 67 génomes entiers, dont 32 provenant de Madagascar, les chercheurs ont retracé la généalogie complexe de cette espèce et révèlent que son arrivée à Madagascar coïncide avec celle des premiers humains. Plongée dans une enquête génétique palpitante, à la croisée de la zoologie, de l’archéologie et de l’anthropologie.
Une frontière génétique plus floue qu’on ne le pensait
Traditionnellement, les bushpigs d’Afrique de l’Est et du Sud (Potamochoerus larvatus) étaient considérés comme une espèce distincte de leurs cousins ouest-africains, les red river hogs (Potamochoerus porcus), sur la base de critères morphologiques et d’une absence supposée d’hybridation naturelle. Pourtant, l’étude révèle que cette frontière est bien plus poreuse : l’analyse génétique montre une “continuum génétique” entre les deux, avec des signes d’échanges de gènes dans les zones de contact (notamment l’Ouganda et l’Éthiopie).
Ainsi, loin d’être deux espèces bien séparées, le bushpig et le red river hog semblent avoir connu une histoire évolutive faite de divergence récente (moins de 500 000 ans) et de flux génétiques ponctuels, typiques de ce que les scientifiques appellent une spéciation incomplète. L’étude propose donc de réévaluer le statut taxonomique de ces suidés africains, en soulignant l’importance des “zones de suture” africaines, là où de nombreuses espèces se rencontrent, s’hybrident et évoluent.

L’enquête génétique : des bushpigs d’Afrique australe à Madagascar
Pour comprendre d’où viennent les cochons sauvages de Madagascar, l’équipe scientifique a séquencé et comparé l’ADN de populations réparties sur 13 pays, couvrant l’ensemble de l’aire de répartition du bushpig et de son cousin ouest-africain. Les résultats sont sans appel : les bushpigs de Madagascar sont génétiquement plus proches de ceux du Zimbabwe et de l’Afrique du Sud que des populations plus nordiques.
Grâce à une analyse fine des dates de divergence, les chercheurs estiment que l’arrivée des bushpigs sur la Grande Île date de 1000 à 5000 ans, soit exactement la période correspondant à l’arrivée des premiers grands groupes humains, notamment les populations bantoues et austronésiennes, qui ont introduit d’autres animaux domestiques comme le zébu, les chèvres ou les moutons.
Autre indice majeur : le goulot d’étranglement génétique observé chez les bushpigs malgaches, typique d’une population fondatrice limitée, est parfaitement cohérent avec une introduction par l’homme (probablement à partir de quelques individus transportés par bateau).
Madagascar : un laboratoire d’évolution à ciel ouvert
Le cochon sauvage de Madagascar ne serait donc pas un animal endémique ayant dérivé depuis l’Afrique il y a des millions d’années, mais bel et bien un “invité” relativement récent, ayant survécu et prospéré sur l’île suite à une introduction humaine. Cela bouleverse notre compréhension de la faune malgache et conforte l’idée que Madagascar a servi, à différentes époques, de terrain d’expérimentation évolutif, parfois sous l’influence directe des hommes.
Les bushpigs malgaches, bien que proches génétiquement des populations d’Afrique australe, présentent aussi des signes de diversité interne. Toutefois, rien n’indique une multiplication d’introductions distinctes (comme c’est le cas pour certains animaux domestiques), suggérant qu’un unique événement fondateur ou un nombre limité d’introductions a suffi à implanter durablement l’espèce.
Les zones de suture : carrefours de l’évolution africaine
L’un des apports majeurs de l’étude est la mise en évidence de zones de suture génétique en Afrique, véritables carrefours évolutifs où les espèces se rencontrent et échangent des gènes. Pour les bushpigs et red river hogs, c’est en Ouganda, au Congo et en Éthiopie que les scientifiques ont repéré les plus forts signaux de flux génétiques. Ce phénomène est aussi observé chez d’autres grands mammifères africains (éléphants, lions, buffles…), et rappelle combien la notion d’espèce peut parfois s’avérer floue dans la nature.
Ces flux génétiques ont des conséquences profondes sur la résilience et l’évolution des populations, en leur permettant de s’adapter à de nouveaux environnements ou à des changements climatiques. Ils remettent aussi en question la notion de “pureté” des espèces, qui a longtemps guidé la classification zoologique.
De l’Afrique à Madagascar : le cochon sauvage, passager clandestin de la grande migration humaine ?
La question qui fascine archéologues et généticiens est celle du “comment” : comment des bushpigs sauvages ont-ils pu traverser le canal du Mozambique (plus de 400 km de mer) sans être domestiqués ? L’étude suggère une introduction humaine volontaire, sans pour autant apporter la preuve d’une domestication. Il est possible que des groupes bantous ou austronésiens, maîtrisant la navigation, aient capturé des bushpigs en Afrique australe, les aient transportés à bord de leurs embarcations, et relâchés à Madagascar pour disposer d’une source de protéines.
Cette hypothèse est appuyée par des analyses linguistiques et archéologiques, qui montrent la présence de restes de bushpigs dans des sites datés de 700 à 1200 ans, souvent associés à des poteries et outils venus d’Afrique de l’Est. Le bushpig, au même titre que le zébu, symbolise donc l’impact des migrations humaines sur la biodiversité malgache.
Une histoire d’évolution, de survie et de brassage
Au-delà de l’aspect purement zoologique, cette étude éclaire l’incroyable capacité d’adaptation des bushpigs et la complexité des processus évolutifs en Afrique et à Madagascar. Leur histoire génétique est marquée par des périodes de séparation, de contact, de brassage, de goulots d’étranglement… Elle illustre aussi le rôle des hommes comme agents majeurs de dispersion d’espèces, bien avant l’époque moderne.
La génétique moderne permet aujourd’hui de reconstituer ces scénarios en détail, là où la morphologie ou la paléontologie seules restaient muettes. Ce nouveau regard sur le cochon sauvage de Madagascar interpelle aussi sur la nécessité de réévaluer le statut taxonomique de nombreux animaux africains, car l’histoire naturelle est souvent plus “floue” et dynamique que ne le laisse croire la classification stricte des espèces.
Impacts écologiques et enjeux de conservation
La présence du bushpig à Madagascar n’est pas sans conséquence : cet animal, qui n’a pas de prédateur naturel sur l’île, est aujourd’hui chassé pour sa viande et parfois considéré comme nuisible par les agriculteurs. Sa prolifération pose des questions d’équilibre écologique, d’autant plus que de nombreuses espèces endémiques ont disparu suite à l’arrivée des humains et de leurs animaux (extinction de la mégafaune malgache).
L’étude rappelle l’importance d’une gestion raisonnée de la faune sauvage et la nécessité de mieux comprendre l’histoire évolutive et démographique des espèces introduites, pour anticiper les risques et préserver la biodiversité exceptionnelle de Madagascar.
Perspectives : la génomique, un outil au service de l’histoire naturelle
En utilisant des outils de pointe, séquençage ADN, analyses de diversité génétique, datation moléculaire, les chercheurs ouvrent de nouvelles perspectives pour l’étude de l’évolution et des migrations, tant animales qu’humaines. À l’heure où la biodiversité mondiale est menacée, ces travaux montrent que la génomique peut révéler des histoires cachées, démêler les fils de l’évolution, et offrir des clés précieuses pour la conservation.
L’histoire du cochon sauvage africain et de son voyage jusqu’à Madagascar n’est qu’un exemple parmi tant d’autres des liens profonds entre espèces, continents, et sociétés humaines. Elle nous rappelle que la nature, loin d’être figée, est le fruit d’un perpétuel mouvement, fait de rencontres, d’échanges, et de surprises.
Sources :
- Nature Communications (résumé et résultats de l’étude génomique)
- Données archéologiques et linguistiques sur les migrations africaines et austronésiennes

Gaël Rakotovao, ingénieur d’études et d’exploitation puis diplômé de l’École Supérieure Polytechnique d’Antananarivo et actuellement CTO chez Mada Creative Agency, est également photographe passionné spécialisé dans les paysages, la culture et la cuisine malgache. Il cumule plus de 15 ans d’expérience en marketing digital, SEO, formation (SEO, photographie, crypto‑minage) et exerce aussi comme guide touristique certifié par le ministère du Tourisme autour de Madagascar.