Pendant plus de trente ans, Madagascar a été dominée par une femme dont le nom évoque encore aujourd’hui la peur, la fascination et la controverse : Ranavalona I. Surnommée la « Reine Cannibale », son règne (1828-1861) fut marqué par des exécutions publiques, des épreuves de poison, l’isolement total du pays et une résistance farouche à la colonisation européenne. Mais derrière la légende noire, qui était vraiment Ranavalona I ? Tyran sanguinaire ou protectrice tragique de son peuple ? Plongée dans l’histoire d’une souveraine qui a façonné le destin de Madagascar.
Les origines de Ranavalona I: de fille d’officier à Reine inattendue
Née en 1788 dans les montagnes de l’Imérina sous le nom de Ramavo, rien ne prédestinait cette jeune fille issue d’une famille modeste à accéder au trône. Son père, simple officier, découvre un complot contre le roi Andrianampoinimerina. Par loyauté, il dénonce la conspiration, sauvant ainsi la monarchie. Sa récompense ? Le roi promet qu’une épouse de son fils héritier, le prince Radama, sera issue de cette famille. Ramavo devient ainsi l’épouse du futur roi, mais leur union est tout sauf romantique : Radama, fasciné par l’Europe et le christianisme, méprise sa femme, la jugeant trop attachée aux traditions malgaches.
L’ascension au pouvoir de Ramavo: Un trône conquis dans le sang
La mort de Radama et le vide du pouvoir
En 1828, Radama meurt sans héritier direct, ouvrant une crise de succession. Ramavo, jusque-là ignorée, saisit sa chance. Grâce à l’appui de la noblesse traditionaliste et d’une faction de l’armée, elle élimine méthodiquement ses rivaux : plus de trente membres de la famille royale sont exécutés en une semaine. Les partisans des Européens, les épouses secondaires, les cousins éloignés ; tous sont éliminés pour garantir sa suprématie. Ramavo prend alors le nom de Ranavalona I et inaugure une ère de terreur sans précédent.
Un règne de fer et d’isolation
Dès son couronnement, Ranavalona ferme Madagascar à l’influence étrangère. Les écoles missionnaires sont interdites, les Bibles brûlées, et les pasteurs locaux crucifiés pour avoir refusé de renier leur foi. Les missionnaires européens sont expulsés sous peine de mort. Mais la répression ne s’arrête pas là : la persécution des chrétiens malgaches s’intensifie, marquée par des tortures, des exécutions et l’épreuve du tangena, un poison mortel utilisé comme « jugement divin ».
La loi du tangena : la peur comme instrument de pouvoir
Un rituel mortel
Sous Ranavalona, l’épreuve du tangena devient un outil politique redoutable. L’accusé doit boire un poison extrait de l’écorce d’une plante sacrée. S’il vomit trois fois, il est innocenté. Sinon, sa mort est considérée comme la volonté des dieux ou de la reine. On estime que 75 000 à 150 000 personnes périrent ainsi, soit une part significative de la population de l’époque. Toute dissidence, accusation de sorcellerie ou soupçon de trahison pouvait mener à cette sentence fatale.
Répression et armée : un royaume sous surveillance
Ranavalona transforme l’armée malgache en une force de 30 000 soldats, loyaux uniquement envers elle. Les rébellions internes sont écrasées avec une brutalité extrême : certains rebelles sont bouillis vivants, d’autres empalés ou démembrés publiquement. La terreur est omniprésente, l’île se referme sur elle-même, coupant presque tous les liens avec l’extérieur.
Mythe ou réalité : Ranavalona I, la « Reine Cannibale » ?
Les rumeurs occidentales
C’est dans ce climat de peur que naissent les rumeurs les plus sordides. Un marchand français, rescapé de Madagascar, affirme avoir vu des corps mutilés accrochés aux arbres et des enfants cuits pour punir leurs mères. D’autres racontent que Ranavalona I aurait obligé les femmes des condamnés à manger des morceaux du corps de leur mari, une perversion extrême de rituels anciens. Ces récits, largement relayés dans les ports européens, forgent la légende de la « Reine Cannibale ».
Propagande ou vérité historique ?
Mais ces accusations de cannibalisme sont-elles fondées ? De nombreux historiens modernes y voient surtout une construction coloniale, destinée à diaboliser une souveraine qui résistait farouchement à l’influence européenne. D’autres, plus nuancés, rappellent que dans des contextes de pouvoir absolu et de violence extrême, la frontière entre mythe et réalité peut s’estomper. Ce qui est certain, c’est que Ranavalona a utilisé la peur comme arme politique, et que son nom reste associé à des pratiques d’une rare cruauté.

La fin d’un règne : paranoïa et isolement
Les dernières années : une reine assiégée par la peur
Vers la fin de sa vie, Ranavalona sombre dans la paranoïa. Craignant d’être empoisonnée ou assassinée, elle fait installer des pièges dans son palais, change de chambre chaque nuit et fait exécuter des proches sur de simples soupçons. Son esprit, rongé par la peur et l’isolement, devient le théâtre d’une méfiance maladive, jusqu’à sa mort en 1861 à l’âge de 73 ans, probablement d’une hémorragie cérébrale.
L’héritage contradictoire de Ranavalona I
À sa mort, son fils Radama II abolit immédiatement l’épreuve du tangena, rouvre Madagascar aux missions chrétiennes et au commerce, amorçant une modernisation rapide. Mais cette ouverture expose aussi l’île à la colonisation française, qui finira par soumettre Madagascar. Ranavalona laisse ainsi un héritage ambivalent : pour l’Occident, elle demeure un monstre sanguinaire ; pour de nombreux Malgaches, elle est la dernière grande défenseure de la souveraineté nationale, une femme qui a tout sacrifié pour préserver l’indépendance de son peuple.
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Ranavalona I : tyran ou héroïne ?
L’histoire de Ranavalona I ne se résume pas à la cruauté ou à la résistance. Elle incarne la complexité des choix imposés par l’Histoire : jusqu’où peut-on aller pour défendre son pays face à la menace extérieure ? Faut-il juger une souveraine selon les critères de son époque ou ceux de la nôtre ? Ranavalona reste une énigme, un avertissement sur les dangers du pouvoir absolu, mais aussi un symbole de la lutte pour l’autodétermination face aux empires.
Ranavalona I demeure l’une des figures les plus fascinantes et controversées de l’histoire africaine. Son règne, entre mythe et réalité, interroge notre rapport à la violence, à la souveraineté et à la mémoire collective. Loin d’être une simple « reine cannibale », elle incarne la tragédie d’un peuple pris entre la préservation de ses traditions et l’inéluctable avancée du monde moderne. Un destin hors du commun, qui mérite d’être redécouvert, compris et débattu.
Cet article s’appuie sur le documentaire « The Cannibal Queen of Madagascar – The Forgotten Reign of Ranavalona I »

Gaël Rakotovao, ingénieur d’études et d’exploitation puis diplômé de l’École Supérieure Polytechnique d’Antananarivo et actuellement CTO chez Mada Creative Agency, est également photographe passionné spécialisé dans les paysages, la culture et la cuisine malgache. Il cumule plus de 15 ans d’expérience en marketing digital, SEO, formation (SEO, photographie, crypto‑minage) et exerce aussi comme guide touristique certifié par le ministère du Tourisme autour de Madagascar.