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Vallée de Tsaranoro  : un exploit d’escalade féminine historique

Le 24 juin 2025, Sasha DiGiulian et Marianna « Mango » Ordóñez ont marqué l’histoire de l’escalade en réalisant la première ascension féminine en libre de la mythique voie « Bravo Les Filles » (8b, 600 m) sur Tsaranoro Kely, au cœur de la vallée de Tsaranoro à Madagascar. Cet exploit, attendu depuis plus de deux décennies, vient couronner un héritage initié par la légendaire Lynn Hill et son équipe à la fin des années 1990.

 

Retour sur une voie légendaire : l’héritage de Lynn Hill

En 1999, Lynn Hill, accompagnée de Nancy Feagin, Kath Pike et Beth Rodden, ouvre « Bravo Les Filles » sur la paroi de Tsaranoro Kely, une falaise de granit de près de 600 mètres, dans une région alors peu connue des grimpeurs internationaux. À l’époque, la voie est considérée comme l’une des plus difficiles jamais réalisées par une équipe féminine. Pourtant, un défi subsiste : le crux, une longueur cotée 8b (5.13d), reste invaincu en libre par Hill et son équipe.

Lynn Hill, pionnière de l’escalade libre sur big wall, partage dans ses récits la difficulté extrême de l’entreprise : ouverture du bas, perçage de points d’assurage depuis des skyhooks précaires, et fatigue accumulée après deux semaines de labeur intense. Son témoignage, relayé dans l’American Alpine Journal et un documentaire NBC présenté par Sting, inspire toute une génération de grimpeuses et grimpeurs.

Après l’expédition de Hill, la voie attire l’attention des meilleurs grimpeurs mondiaux. Les frères basques Eneko et Iker Pou réalisent la première ascension en libre en 2004. Adam Ondra, prodige tchèque, s’y attaque à son tour en 2010, confirmant la difficulté et l’engagement de « Bravo Les Filles ».

Vallée de Tsaranoro
Vallée de Tsaranoro

 

Sasha DiGiulian et Marianna Ordóñez : une cordée moderne, un défi d’exception

Sasha DiGiulian, figure incontournable de l’escalade sportive et du big wall, découvre l’histoire de « Bravo Les Filles » grâce à Lynn Hill, son mentor. L’idée de reprendre le flambeau la séduit immédiatement. Elle propose à Marianna Ordóñez, grimpeuse mexicaine surnommée « Mango », de l’accompagner dans cette aventure. Ordóñez, passionnée et dotée d’une solide expérience en grandes voies sportives, accepte le défi, bien qu’elle n’ait jamais mené de longueur en trad auparavant.

Après un long voyage, les deux grimpeuses arrivent au Tsarasoa Lodge, point de départ des aventures verticales malgaches. Rapidement, elles mesurent l’ampleur de la tâche : la voie est rarement répétée, les topos sont imprécis, et les locaux les mettent en garde contre la vétusté des points d’assurage. Malgré tout, elles décident d’aller voir par elles-mêmes, découvrant que les premiers spits sont en bon état.

Sasha DiGiulian et Marianna Ordóñez ont passé une nuit sur la paroi pendant le travail de la voie, et deux nuits sur la paroi lors de l’enchaînement en tête (© Sasha DiGiulian)
Sasha DiGiulian et Marianna Ordóñez ont passé une nuit sur la paroi pendant le travail de la voie, et deux nuits sur la paroi lors de l’enchaînement en tête (© Sasha DiGiulian)

 

Immersion dans la jungle malgache : entre perte de repères et adaptation

L’accès à la paroi s’avère déjà une aventure : deux heures de marche à travers la jungle, puis une première tentative qui se termine par cinq heures d’errance nocturne avant de retrouver le campement. Cette mésaventure les pousse à baliser soigneusement le sentier pour les jours suivants.

Au fil des jours, DiGiulian et Ordóñez travaillent les différentes longueurs, alternant les essais et les repos. Ordóñez prend confiance et mène plusieurs longueurs jusqu’au 7e relais, malgré une chute juste avant la chaîne sur une section en 7b+. Les conditions sont éprouvantes : chaleur intense, manque d’ombre, pieds brûlés, et topo peu fiable compliquent la progression. Mais la motivation reste intacte.

Village de Tsaranoro
Village de Tsaranoro

 

L’assaut final : gestion du mental et engagement extrême

Après cinq jours de travail et une nuit passée sur la paroi, les deux grimpeuses prennent deux jours de repos avant de tenter l’ascension en libre depuis le sol. Elles partent à l’aube, profitant de la courte fenêtre d’ombre offerte par la falaise.

Le passage clé, la huitième longueur en 8b, est libéré par DiGiulian après cinq essais lors des séances de travail. Mais la véritable épreuve n’est pas tant physique que mentale : la voie est très engagée, les protections rares et parfois douteuses. Sur la dernière longueur, DiGiulian se retrouve à 20 mètres au-dessus d’une sangle passée autour d’un cactus mort, le dernier friend étant 10 mètres plus bas. L’adrénaline monte, la peur est palpable, mais elle décide de s’engager et atteint le sommet, où elle construit un relais sur coinceurs pour assurer Ordóñez.

Ascension assaut final sur bravo les filles
Ascension assaut final sur bravo les filles (©Jan Novak)

 

Un exploit partagé et une nouvelle dynamique féminine

Pour Ordóñez, cette ascension représente un accomplissement personnel majeur : « Nous n’avons jamais eu un moment où nous voulions abandonner. Nous avons gardé l’esprit ouvert. » DiGiulian, quant à elle, savoure le rôle de leader et de mentor, rôle qu’elle a rarement occupé dans des cordées mixtes. Elle espère désormais transmettre à son tour l’héritage de Lynn Hill et inspirer la prochaine génération de grimpeuses.

Cette saison, la vallée de Tsaranoro a vu converger plusieurs équipes féminines de haut niveau, dont Anna Hazelnutt et Matilda Söderlund sur d’autres big walls de la région. Ordóñez imagine déjà Madagascar comme le futur « Potrero Chico » africain, un spot incontournable pour les grimpeuses du monde entier.

 

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Les clés de la réussite : résilience, adaptation et esprit pionnier

Ce que l’ascension de « Bravo Les Filles » nous enseigne

  • Résilience face à l’inconnu : DiGiulian et Ordóñez ont dû composer avec des informations limitées, des conditions extrêmes et des protections incertaines.
  • Transmission et inspiration : Ce projet s’inscrit dans la continuité d’un héritage féminin, de Lynn Hill à la nouvelle génération.
  • Cohésion d’équipe : L’écoute, la confiance et la complémentarité des deux grimpeuses ont été déterminantes.

 

Perspectives : et après « Bravo Les Filles » ?

Après leur retour, Ordóñez s’envole pour la France, tandis que DiGiulian prévoit de la rejoindre à l’automne avant de partir pour Yosemite. Les deux grimpeuses rêvent déjà d’un prochain big wall, peut-être au Brésil ou au Pérou, portées par cette dynamique nouvelle et l’envie de poursuivre l’aventure ensemble.

L’ascension de « Bravo Les Filles » par Sasha DiGiulian et Marianna Ordóñez n’est pas seulement un exploit sportif, c’est un symbole : celui de la persévérance, de la transmission et de l’émancipation des femmes dans le monde de l’escalade. En reprenant le flambeau de Lynn Hill, elles ouvrent la voie à une nouvelle génération de grimpeuses prêtes à repousser les limites, sur les parois les plus sauvages de la planète.

 

Quelques sources pour aller plus loin

Cet article s’appuie sur les récits et analyses publiés par PlanetMountain et Climbing Magazine, ainsi que sur les témoignages directs des protagonistes de cette ascension historique.

  1. https://www.climbing.com/news/sasha-digiulian-and-marianna-ordonez-pick-up-where-lynn-hill-left-off-in-madagascar/
  2. https://kairn.com/sasha-digiulian-marianna-ordonez-make-first-female-free-ascent-of-bravo-les-filles-on-tsaranoro-madagascar/
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